Des capteurs doublement chevelus pour la détection d’armes chimiques

Détecter la présence d’explosifs ou de composés utilisés comme arme chimique directement dans l’atmosphère est un défi technologique bien actuel. Il repose sur la capacité de mesurer des concentrations très faibles de ces produits. Une solution prometteuse consiste à fonctionnaliser des capteurs de type microlevier, un minuscule bras mince et plat de silicium. Des chercheurs du NS3E (ISL/CNRS/UNISTRA) et de l’ICPEES (CNRS/Université de Strasbourg) ont réussi à fonctionnaliser les deux faces de tels leviers avec des nanotubes de dioxyde de titane. Une prouesse technologique qui augmente la surface active de ces capteurs d’un facteur 343. Publiés dans la revue Nanoscale, ces travaux ouvrent la voie à une détection ultra-fine d’un large spectre de composés chimiques toxiques ou explosifs directement dans l’air ambiant.

Le risque d’exposition à des composés chimiques très toxiques, comme ceux utilisés comme arme chimique, s’accroît constamment et il devient urgent de protéger efficacement les forces armées déployées sur le théâtre des opérations extérieures mais aussi les populations civiles faces à ces menaces. Parmi ces composés, on trouve les composés organophosphorés (OP) qui sont des molécules organiques contenant une liaison carbone-phosphore et dont certaines sont très toxiques et peuvent être utilisées comme arme de destruction massive. Les moyens classiques de détection tels que la chromatographie en phase gazeuse, chromatographie en phase liquide et spectrométrie de mobilité ionique utilisées depuis plusieurs décennies pour la détection des organophosphorés et d'autres composés toxiques sont malheureusement lents, couteux et ne permettent pas de détection in situ et en temps réel de très faibles concentrations dans l’atmosphère. Les générations futures de capteurs chimiques visant à protéger militaires et civiles devront être au contraire économiques, portables, rapides, sensibles et sélectives. Réunir tous ces attributs au sein d’un même capteur relève de l’exploit.

Les capteurs micro-gravimétriques de type microlevier constituent une voie très prometteuse à l’étude depuis une dizaine d’années. Ces capteurs ultrasensibles initialement conçus pour les techniques de microscopie à force atomique consistent en un bras très mince et plat de silicium, le microlevier, qui vibre à une fréquence donnée. Ils sont capables de détecter la présence de composés chimiques à de très faibles concentrations en phase vapeur et liquide par adsorption des molécules à la surface du microlevier. Le principe est simple : l’adsorption d’une molécule cible sur la surface du levier en change la masse et donc la fréquence de vibration ce qui génère un signal de détection. Pour améliorer la sensibilité et la sélectivité chimique de ces capteurs, une des principales stratégies consiste à augmenter la surface active du levier en la décorant d’une couche fonctionnelle de nanotubes sur laquelle viennent s’adsorber les molécules ciblées. Cependant, les limites techniques et technologiques des procédés utilisés n’ont jusqu’ici permis de décorer avec tels cheveux qu’une des deux surfaces du capteur, l’autre restant inexploitée. Des chercheurs du laboratoire NS3E (CNRS/ISL/Université de Strasbourg), en collaboration avec l’ICPEES (CNRS/Université de Strasbourg), ont réussi à dépasser cette limite et ont nanostructuré les deux faces d’un microlevier commercial avec des nanotubes de dioxyde de titane (TiO2) organisés et orientés verticalement. Leur stratégie, basée sur un procédé en une seule étape, augmente la surface active du capteur par un facteur de 343, permettant ainsi de capturer un plus grand nombre de molécules cibles. Non seulement ces travaux rendent possible l’exploitation des deux faces du microlevier pour en améliorer la réponse, la sensibilité et la limite de détection, mais ils ouvrent également sur de nouvelles perspectives en termes de détection chimique non invasive et directement exploitable in situ.

Rédacteur: AVR

Microlevier à deux faces nanostructurées et fonctionnalisées. © Guillaume Thomas

Référence


Guillaume Thomas, Geoffrey Gerer, Laurent Schlur, Fabien Schnell, Thomas Cottineau, Valérie Kellerb and Denis Spitzer. Double side nanostructuring of microcantilever sensors with TiO2-NTs as a route to enhance their sensitivity. Nanoscale 2020.

https://doi.org/10.1039/D0NR01596B

Contact

Guillaume Thomas
Nanomatériaux pour les Systèmes Sous Sollicitations Extrêmes - French-German Research Institute of Saint-Louis
Valérie Keller
Institut de Chimie et Procédés pour l’Energie, l’Environnement et la Santé - Université de Strasbourg
Denis Spitzer
Chercheur au laboratoire Nanomatériaux pour les systèmes sous sollicitations extrêmes (CNRS/Université de Strasbourg/ISL)
Stéphanie Younès
Responsable Communication - Institut de chimie du CNRS
Anne-Valérie Ruzette
Chargée scientifique pour la communication - Institut de chimie du CNRS