De nouveaux systèmes moléculaires pour l’information quantique
Des scientifiques de l’Institut Charles Sadron (CNRS) ont synthétisé des systèmes moléculaires dont les états électroniques de spin peuvent être manipulés grâce à des pulses micro-ondes, ouvrant la voie à des applications en sciences de l’information quantique.
Une fois opérationnel, l’ordinateur quantique balaiera tous les principes sur lesquels la cryptographie repose actuellement. Le traitement de l’information utilise en effet les propriétés quantiques ultimes de la matière (la superposition, l'intrication et la non-localité)* pour effectuer massivement, et donc très rapidement, des opérations sur des données.
Dans ce domaine, la recherche de nouveaux matériaux est particulièrement dynamique. À l’heure actuelle, plusieurs technologies comme les boîtes quantiques de semiconducteurs, des atomes neutres, les ions piégés ou encore les lacunes d’azote dans des matrices de diamant existent et sont en développement. Mais le développement de matériaux purement organiques pourrait s’avérer particulièrement pertinent car ces matériaux peuvent être plus facilement préparés à grande échèle, et la chimie nous offre la possibilité de contrôler finement leurs propriétés.
Parmi ces matériaux prometteurs, les scientifiques de l‘Institut Charles Sadron (CNRS) s’intéressent à des systèmes moléculaires photo-induits appelés « dyades chromophore–radical ». En effet, leur état de spin, c’est-à-dire leur état quantique, peut être imposé par la lumière et perdurer sur un temps suffisamment long (temps de cohérence de mémoire) pour permettre de réaliser des opérations quantiques. Pour le moment, ces dispositifs fonctionnent à une température de 80K mais pour des nombreuses applications, il serait souhaitable de pouvoir travailler à température ambiante
Dans le cadre d’une collaboration avec l’Université de Freiburg (DE), les chimistes ont combiné deux stratégies pour atteindre cet objectif. Pour minimiser les interactions magnétiques ainsi que les mouvements moléculaires qui réduisent la durée de vie des états quantiques, ils ont remplacé les atomes d’hydrogène par du deutérium (substitution isotopique) et utilisé une matrice polymérique rigide (PMMA). Ils ont ainsi pu stabiliser et observer des temps de cohérence de mémoire de 0,7 µs à température ambiante, un record pour ces systèmes.
Ces résultats, parus dans la revue Journal of the American Chemical Society, ouvrent la voie à des applications telles que la détection quantique ultrasensible.
(*) Les lois de la mécanique quantique autorisent une particule, un atome ou une molécule, à se trouver dans différents états en même temps – on parle d’états superposés. Ainsi, alors que dans un ordinateur ordinaire, les informations sont codées sous la forme de bits qui ne peuvent prendre que deux valeurs, 0 ou 1, selon le passage au non de courant électrique à travers un transistor, les bits quantiques (ou qubits) peuvent simultanément prendre les valeurs 0 et 1. Qui plus est, lorsque deux qubits interagissent, leurs états physiques « s’enchevêtrent », si bien que les deux systèmes ne peuvent plus être décrits de façon indépendante – on parle d’états intriqués.
Rédacteur : CCdM
Référence
Maximilian Mayländer, Philipp Thielert, Theresia Quintes, Andreas Vargas Jentzsch, Sabine Richert
Room temperature electron spin coherence in photogenerated molecular spin qubit candidates
J. Am. Chem. Soc. 2023, 145, 14064–14069