Comment les champs électriques percent les membranes cellulaires

Résultats scientifiques

L'électroporation consiste à perforer la membrane cellulaire à l’aide d’un champ électrique pour y faire passer une substance thérapeutique. Une équipe de scientifiques franco-allemands dévoile dans la revue PNAS des éléments essentiels à la compréhension de ce phénomène largement utilisé mais encore peu compris.

L’électroporation est une technique bien établie qui permet de surmonter la barrière de la membrane cellulaire. Une brève impulsion électrique perce la membrane, permettant ainsi la délivrance de substances thérapeutiques à l'intérieur des cellules : médicaments, ADN et bien d'autres biomolécules. Mais cette technique, qui représente un marché de plusieurs milliards de dollars, repose étonnamment sur de maigres connaissances fondamentales. Dans un article qui vient d'être publié dans la revue PNAS, une équipe du CNRS et ses collègues de l'Université de Fribourg-en-Brisgau dévoile un vaste ensemble de nouvelles données sur la formation de pores dans les membranes lipidiques sous champ électrique. Ces résultats montrent non seulement que les modèles de formation de pores existants ne peuvent rendre compte des observations, mais suggèrent également un mécanisme plus probable de formation des trous membranaires.

Les membranes lipidiques sont des auto-assemblages bidimensionnels de molécules amphiphiles. Elles forment les parois extérieures et intérieures des cellules, organisant ainsi les compartiments cellulaires, contrôlant les échanges de matière et servant de support aux réactions, à la transmission des signaux et à de nombreux autres processus essentiels à la vie. Ces membranes sont des contrôleurs de flux très efficaces : si elles permettent aux molécules d'eau de traverser facilement la barrière lipidique de 5 nm d'épaisseur, elles restent par contre très imperméables à la majorité des molécules hydrosolubles. Imperméabilité que l’application de champs électriques permet de surmonter en ouvrant des pores.

Au cœur des divergences entre les modèles existants et les nouvelles expériences publiées dans la revue PNAS se trouve la fréquence de formation des pores sous un champ électrique. Cette fréquence, qui dépend de la quantité d'énergie nécessaire pour ouvrir un pore, est mesurée en comptant combien de pores se forment pendant une seconde d'application du champ électrique. Sous des champs électriques croissants, cette énergie est réduite et les pores peuvent s'ouvrir spontanément. Les modèles existants supposent que le champ électrique applique une pression sur la membrane, ce qui facilite l'ouverture des pores. Mais un tel effet prédit une dépendance quadratique avec le champ : doubler la valeur du champ devrait diminuer le coût énergétique par un facteur quatre.

A l’inverse, les scientifiques ont observé que l'abaissement de la barrière énergétique varie linéairement avec le champ électrique. Cette dépendance linéaire suggère un mode d’action différent du champ : en faisant pivoter les molécules de la fine couche d'eau en contact intime avec la membrane, le champ électrique déstabiliserait l’interface membrane-eau. De quoi relancer théoriciens et simulateurs numériques à la recherche d’une vraie compréhension de ce phénomène-clé qui permettrait d’améliorer le transport des substances actives dans les cellules.

Les résultats expérimentaux suggèrent que l’interaction du champ électrique avec les dipôles du voisinage membranaire - représentés ici par des flèches - déstabilise l’interface et conduit à l’ouverture de pores dans la membrane. © Carlos Marques

Référence

Activation energy for pore opening in lipid membranes under an electric field
Eulalie J. Lafarge, Pierre Muller, André P. Schroder, Ekaterina Zaitseva, Jan C. Behrends & Carlos M. Marques
PNAS, Mars 2023

https://doi.org/10.1073/pnas.2213112120

Contact

Carlos Marques
Chercheur au Laboratoire de chimie (CNRS/ENS Lyon)
Stéphanie Younès
Responsable Communication - Institut de chimie du CNRS
Christophe Cartier dit Moulin
Chercheur à l'Institut parisien de chimie moléculaire & Chargé de mission pour la communication scientifique de l'INC
Anne-Valérie Ruzette
Chargée scientifique pour la communication - Institut de chimie du CNRS