Comment les bactéries pathogènes s’adaptent au froid et à la disette

Résultats scientifiques Vivant et santé

Deux études parues dans Molecular Cell et dans PNAS révèlent comment les bactéries pathogènes, comme Escherichia coli, s'adaptent à leur environnement. Un mécanisme moléculaire leur permet de résister au froid ou aux épisodes de famine. Ce mécanisme est contrôlé par une protéine qui agit comme un interrupteur régulant l’expression des gènes en réponse à ces changements environnementaux. Un nouveau pas dans la lutte contre les infections bactériennes.

Les bactéries qui colonisent les mammifères à sang chaud, y compris les pathogènes comme Escherichia coli, sont constamment exposées à des variations brutales de leur environnement, qu’il s’agisse de changements de température ou de fluctuations du pH. Pour survivre, elles utilisent des mécanismes moléculaires sophistiqués pour ajuster l’expression de leurs gènes en fonction des conditions extérieures. L'un de ces mécanismes est la terminaison de la transcription Rho-dépendante (TTRD), qui utilise la protéine Rho pour réguler la transcription des ARN messagers. Deux récentes études, menées par des chimistes et des biologistes du CNRS et de l'université Vanderbilt, mettent en lumière le rôle essentiel de ce mécanisme dans la réponse des bactéries au stress thermique et à la faim.

La première étude, parue dans Molecular Cell, se concentre sur les variations de température auxquelles sont fréquemment exposées les bactéries. Lorsqu’elles quittent leur hôte et son environnement « chaud » (37°C) pour un milieu froid, elles subissent un "choc froid". Ce choc ralentit la production des protéines, cruciales à la survie bactérienne. L’équipe de scientifiques montre comment la protéine Rho est impliquée dans ce processus, en régulant la production d’ARN messagers essentiels à la fabrication de protéines qui aident la bactérie à résister au froid. À température élevée (37°C), Rho interagit avec ces ARN pour stopper leur production, mais à basse température (15°C), cette interaction est bloquée, permettant à la bactérie de produire les protéines nécessaires. Une fois acclimatée, la production est à nouveau freinée pour économiser l’énergie, assurant une réponse adaptative fine et efficace.

La seconde étude, parue dans PNAS, se concentre sur l’adaptation des bactéries aux fluctuations de pH liées aux cycles de famine et d’abondance. En effet, en période d’abondance de nutriments faciles à dégrader comme les glucides, le métabolisme bactérien libère des sous-produits plutôt acides qui tendent à abaisser le pH du milieu dans lequel elles se trouvent. A l’inverse, en période de famine, les bactéries se nourrissent de nutriments plus complexes dont la dégradation augmente le pH. Les bactéries doivent s’adapter à ces fluctuations de pH pour maintenir leur équilibre interne et continuer à fonctionner efficacement. L’équipe de scientifiques montre qu’une mutation de la protéine Rho, Rho(R109H), rend son activité sensible aux variations de pH, permettant aux bactéries d’ajuster leur réponse métabolique en fonction du milieu extérieur et d’optimiser ainsi leur survie dans des conditions extrêmes (famine ou abondance). Cette mutation affecte la capacité de Rho à se lier aux ARN et à stopper leur transcription. Dans des environnements où le pH est souvent élevé, comme dans des périodes de famine, cette mutation semble aider la bactérie à mieux réguler son métabolisme en optimisant l’utilisation des ressources disponibles et en facilitant la gestion des déchets organiques.

Ces résultats jettent un nouveau regard sur la façon dont les bactéries qui colonisent l’Homme et les animaux à sang chaud, y compris la plupart des bactéries pathogènes, utilisent des stratégies génétiques adaptatives pour survivre et prospérer dans des environnements changeants. Ces travaux révèlent l’importance du mécanisme Rho-dépendant dans cette adaptation rapide et pourraient avoir des implications dans la lutte contre les infections bactériennes.

Références

Rho-dependent transcriptional switches regulate the bacterial response to cold shock
Mildred Delaleau, Nara Figueroa-Bossi, Thuy Duong Do, Patricia Kerboriou, Eric Eveno, Lionello Bossi, & Marc Boudvillain
Molecular Cell 2024
https://doi.org/10.1016/jmolcel.2024.07.034

Evolution of pH-sensitive transcription termination in Escherichia coli during adaptation to repeated long-term starvation
Sarah B Worthan, Robert D.P. McCarthy, Mildred Delaleau, Ryan Stikeleather, Benjamin P Bratton, Marc Boudvillain, & Megan G. Behringer, PNAS 2024
www.pnas.org/doi/10.1073/pnas.2405546121

Contact

Marc Boudvillain
Chercheur au Centre de biophysique moléculaire (CNRS)
Communication CNRS Chimie