Cibler les quadruplexes d’ADN pour ralentir le vieillissement

Résultats scientifiques

Mis en évidence dans des cellules humaines au début des années 2010, les quadruplexes d’ADN (*) pourraient redéfinir le code génétique en se comportant comme des interrupteurs agissant sur la régulation des gènes. Cibles privilégiées dans la lutte contre les cancers, il est apparu plus récemment que ces quadruplexes augmentent également l’instabilité génétique des cellules du système nerveux central (SNC), induisant leur vieillissement précoce. L’équipe de David Monchaud de l’Institut de chimie moléculaire de l’Université de Bourgogne (ICMUB / CNRS) propose une approche innovante pour contrôler ces structures.

  • Les quadruplexes d’ADN, une découverte récente et des recherches qui s’accélèrent. Pourquoi un tel engouement pour ces structures formées par quatre brins d’ADN que l’on a identifié dans plus de 700 000 séquences de notre génome ?

Les chercheurs soupçonnaient l’existence de ces structures depuis la fin des années 80, mais c’est à partir de leur mise en évidence en 2012 dans des cellules humaines (1) que nous avons commencé à mieux comprendre où, quand et comment elles se forment dans notre génome et quelles pourraient être leurs fonctions. Nous avons découvert que les quadruplexes sont capables d’impacter le génome de plusieurs manières : ils agissent comme des interrupteurs génétiques contrôlant l’expression de certains gènes ; ils sont également capables d’entraver le travail des enzymes qui régulent la réplication et la transcription de l’ADN, perturbant ainsi la stabilité génomique. Des propriétés qui intéressent particulièrement les biologistes du cancer : qui utilisent ces quadruplexes d’ADN comme cibles pour freiner la division incontrôlée de cellules cancéreuses en endommageant leur génome.

Parallèlement à ces travaux, mon équipe de recherche s’est intéressée dès 2019 aux quadruplexes, non pas dans les cellules tumorales mais neuronales (2). Nous avons constaté de façon tout à fait inattendue que le nombre de quadruplexes d’ADN dans ces cellules augmente avec l’âge, entrainant toute une série de dysfonctionnements. Serait-ce là une base moléculaire du vieillissement ? Ceci méritait d’être approfondi mais convaincre les neurobiologistes du rôle possible joué par les quadruplexes d’ADN dans les cellules  neuronales et dans leur vieillissement n’a pas été chose facile. En collaboration avec le groupe d’A. Tsvetkov à Houston (USA), nous avons montré que les quadruplexes jouent en effet un rôle dans ce vieillissement et nous allons même plus loin en proposant que les molécules qui stabilisent les quadruplexes d’ADN pour freiner la prolifération des cellules cancéreuses endommagent également le génome des cellules du système nerveux central et accélèrent leur vieillissement.

 

  • Jusqu’à maintenant, les scientifiques ont cherché à stabiliser les quadruplexes d’ADN pour faire freiner la prolifération tumorale. Comment faire pour les déstabiliser de manière à contrecarrer le vieillissement des cellules neuronales ?

La situation est effectivement complexe à plus d’un titre. Tout d’abord, parce que les travaux menés au cours des 20 dernières années se sont tous concentrés sur la stabilisation des quadruplexes par des petites molécules (ou ligands). Lorsque nous avons démarré ces travaux, ni prototype d’agent déstabilisant validé, ni test permettant d’en identifier n’existaient. Tout restait donc à faire. Une difficulté stratégique supplémentaire venait aussi du fait que nous allions chercher à interagir avec les quadruplexes pour les éliminer, ce qui revenait à suivre et à interpréter la disparition du signal qui les caractérise lors de nos mesures. Cette disparition pouvant être multifactorielle et donc sujette à mauvaise interprétation, notre approche se devait d’être rigoureuse et précautionneuse.

En 2021 (3), nous avons validé une série de tests in vitro pour identifier des petites molécules capables de déstabiliser les quadruplexes. Ces travaux ont conduit à l’identification d’un prototype tout à fait prometteur, une molécule nommée PhpC, qui a très récemment été testée sur des cellules humaines. (4) Par des techniques spécifiques d’imagerie optique et de précipitation par affinité, nous avons ainsi pu montrer que le PhpC est effectivement capable de diminuer le nombre de quadruplexes. Bien que les effets observés soient faibles, ils sont significatifs. Nous travaillons maintenant à améliorer l’efficacité de cette famille de molécules. Hélas, nous rencontrons des difficultés pour financer nos recherches qui visent à déchiffrer et comprendre le mécanisme d’action de cette toute nouvelle classe de composés. Peut-être parce que cette approche implique un changement de paradigme…

 

  • Quels pourraient être les impacts de vos travaux dans le domaine de la neurobiologie, à court ou long, voire très long terme ?

Les applications et implications de ces travaux sont potentiellement énormes. Dans l’immédiat, ces outils moléculaires (le PhpC et ses dérivés) peuvent trouver des applications dans la recherche fondamentale ayant trait à toutes les maladies génétiques qui impliquent un quadruplexe (cancers, neuropathologies, etc.). A moyen terme, nous allons caractériser les propriétés de ces molécules in vivo en étudiant leur stabilité (métabolisation), leur biodisponibilité, leur capacité à moduler les quadruplexes en modèle animal, etc… A long voire très long terme, nous espérons démontrer les propriétés génoprotectrices de ces composés, leur capacité à infléchir la courbe du vieillissement neuronal et à freiner l’apparition des maladies liées à l’âge.

Notre motivation ? L’absence de traitement efficace pour soigner ces pathologies. Les agents utilisés actuellement en clinique agissent en effet au niveau des symptômes de ces affections mais n’en traitent pas les causes, parce qu’elles sont difficiles à mettre en évidence. Avec l’identification du rôle des quadruplexes dans ces désordres neuronaux, nous tenons peut-être une piste thérapeutique prometteuse dont il faut désormais vérifier la validité. Nous savons que la route qui s’ouvre devant nous est longue et sinueuse mais l’enjeu sociétal est tel que nous ne pouvons pas ne pas essayer.

(*) Les quadruplexes d’ADN sont des structures inhabituelles d’acides nucléiques qui se forment transitoirement dans notre génome et participent aux événements clés de la vie cellulaire. Formées de 4 brins d’ADN, ces structures sont utilisées comme cibles pour tenter de contrôler l’expression des gènes auxquels elles appartiennent.

Rédacteur : CCdM

© David Monchaud
© David Monchaud

 

Références

(1) CNRS News (see: https://bit.ly/2UHpZjP)

(2) Small-molecule G-quadruplex stabilizers reveal a novel pathway of autophagy regulation in neurons, J. F. Moruno-Manchon et al., eLife 2020, 9, e52283 (https://doi.org/10.7554/eLife.52283).

→ CNRS (https://bit.ly/39qtgrQ) and Recherche uB (https://bit.ly/2vABBKI)

→ Sciences & Avenir (https://bit.ly/2SH2WD2)

→ Pour La Science (https://bit.ly/2XpbiBG)

→ Radio Television Suisse (https://bit.ly/3byiHoF)

 

(3) Identifying G-quadruplex-DNA–disrupting small molecules, J. Mitteaux et al., J. Am. Chem. Soc. 2021, 143, 12567 (https://doi.org/10.1021/jacs.1c04426)

→ CNRS (https://tinyurl.com/3s2pxdny)

 

(4) PhpC modulates G-quadruplex-RNA landscapes in human cells, J. Mitteaux et al., Chem. Commun. 2024,60, 424-427

Contact

David Monchaud
Chercheur à l'Institut de chimie moléculaire de l'Université de Bourgogne (CNRS/Université de Bourgogne)
Communication CNRS Chimie