Capturer les micropolluants dans l’eau : le pari réussi de Mona Semsarilar
Le 13 février, le magazine Le Point a publié son Palmarès des inventeurs 2025. Mona Semsarilar, directrice de recherche à l’Institut européen des membranes, compte parmi les quatre lauréats rattachés à des laboratoires de CNRS Chimie. Elle nous présente sa startup Cleaneau dédiée à la capture de micropolluants dans l’eau.
Pouvez-vous présenter votre parcours et ce qui vous a menée jusqu’aux membranes ?
J’ai effectué mon doctorat en chimie des polymères à l’Université de Sydney en 2010 sous la direction de Sébastien Perrier. Ma thèse portait sur la modification de la cellulose à l’aide de la polymérisation RAFT1 . J’ai ensuite rejoint le laboratoire de Steven Armes à l’Université de Sheffield en tant que chercheuse postdoctorale. J’y ai développé mes compétences en chimie colloïdale et auto-assemblage. Depuis 2015, je suis chercheuse CNRS à l’Institut européen des membranes (IEM – CNRS/ENSC Montpellier/Université de Montpellier), où je conçois des polymères sur mesure pour fabriquer des membranes. Mes activités de recherches se sont progressivement tournées vers le développement de matériaux hybrides poreux pour l’élimination sélective des micropolluants dans l’eau, y compris les « polluants éternels » (PFAS2 ), les éléments radioactifs et les métaux lourds.
Quel est le cœur d’activité de votre startup Cleaneau ?
Dans le cadre du projet Cleaneau, nous développons, pour le traitement de l'eau, un matériau à base de molécules cycliques fonctionnelles intégrées dans un réseau de polymères réticulés (adsorbants et membranes poreuses). Son principal avantage par rapport à d’autres solutions existantes est sa grande flexibilité. Les deux composants du matériau peuvent en effet être optimisés pour capturer sélectivement différentes familles de polluants. Son efficacité a été démontrée pour la filtration de l'iode, des PFAS, de certains métaux lourds et de l'or. Par ailleurs, ce matériau peut être modelé pour obtenir la forme appropriée à des conditions spécifiques (billes, cartouches, membranes…) grâce à l'impression 3D. Cela permet de fabriquer des objets poreux présentant une diffusion rapide et une excellente surface spécifique. Cerise sur le gâteau : notre matériau est facile à préparer et peu coûteux !
Selon vous, en quoi cette innovation est "susceptible de changer la vie de millions de personnes", pour reprendre les mots du Point ?
Chaque minute, des tonnes de polluants sont rejetées dans l'environnement et finissent par se retrouver dans nos sources d'eau potable et dans la chaîne alimentaire. Cette contamination présente de graves risques pour la santé humaine, la faune et les écosystèmes. La diffusion de notre technologie représenterait une étape importante pour garantir un avenir durable où l’eau propre est accessible à tous.
Quelles seraient les perspectives pour de futures recherches ?
Nous nous concentrons actuellement sur le développement d'un prototype intégrable dans un pilote semi-industriel qui nous permettrait de tester le matériau dans des conditions réelles. Il s'agit d'une phase critique au cours de laquelle nous validerons les performances et l'efficacité de notre technologie innovante. En parallèle, nous recherchons activement des investissements pour soutenir la production d'un produit final pleinement fonctionnel. L'obtention d'un financement est essentielle pour développer nos opérations, améliorer nos capacités de recherche et mettre ce matériau pionnier sur le marché. Notre objectif à long terme est de fournir une solution viable et à grande échelle pour la purification de l'eau qui puisse avoir un impact substantiel sur la santé publique et l’environnement.
Quelle a été votre réaction lorsque vous avez appris votre présence dans ce palmarès ?
Mes collègues et moi-même sommes évidemment ravis. Même si la recherche est toujours passionnante, elle s’accompagne souvent de défis, qu’il s’agisse de revers dans nos expériences ou de difficultés à obtenir des financements. Dans ces conditions, la persévérance est essentielle. Recevoir une telle reconnaissance est un formidable stimulant pour le moral. Cette distinction au sein du Palmarès des inventeurs du Point renforce notre dévouement et notre détermination à poursuivre nos objectifs.
Un commentaire à ajouter sur vos travaux et votre équipe ?
J’ai la chance de travailler avec une équipe de chercheurs et d’étudiants exceptionnellement talentueux. Chacun d’entre eux apporte des compétences et des perspectives uniques. Nos réalisations collectives témoignent du pouvoir de la collaboration et de l'importance d'un environnement de travail stimulant et accueillant. Je suis fière de faire partie d'une équipe aussi dynamique et engagée !
Rédacteur : CD
- 1La technique de polymérisation RAFT (en anglais « Reversible Addition-Fragmentation Chain Transfer ») est une méthode puissante de synthèse radicalaire de polymères d’architecture contrôlée (polymères à blocs, étoiles, peignes, etc.) et aux propriétés bien maîtrisées. Elle sert à fabriquer de nombreux matériaux polymères pour des applications avancées comme l'encapsulation de principes actifs de médicaments, la production de revêtements et peintures de nouvelle génération, la microfluidique, les tensioactifs, les adhésifs et les membranes.
- 2Les substances perfluoroalkylées et polyfluoroalkylées (PFAS) sont des composés de synthèse à chaîne carbonée, où au moins un atome de carbone est complètement substitué par des atomes de fluor. Elles sont communément appelées « polluants éternels » du fait de leur persistance dans l’environnement.