Captage du CO2 et recyclage des métaux critiques : le projet win-win de Julien Leclaire

Distinctions Innovation

Si certains s’évertuent à faire des carburants à partir du CO2,  Julien Leclaire, chimiste à l’Institut de chimie et biochimie moléculaires et supramoléculaires (UCBL/CNRS/CPE/Insa Lyon), professeur à l'Université Claude Bernard Lyon 1, co-fondateur de la start-up MECAWARE, propose un procédé qui va plus loin dans la transition écologique. Distingué au 3ème palmarès des inventeurs de l’année du magazine Le Point, son innovation repose sur une double stratégie : capter le CO2 puis l’utiliser pour recycler des métaux critiques, comme ceux composant les batteries.

Que récompense votre titre d’innovateur de l’année du magazine Le Point ?

Ce palmarès récompense des innovations de rupture susceptibles de changer la vie du grand public à court ou moyen terme. La nôtre répond à deux défis à la fois, celui du réchauffement climatique et celui de l’approvisionnement en métaux stratégiques nécessaires à l’électrification de la mobilité et de la transition écologique. A partir des fumées d’usines chargées en CO2, un système de chimie combinatoire unique au monde associe sélectivement des molécules à des mélanges de métaux, opérant un tri pour récupérer les plus stratégiques. Concrètement, notre procédé fait intervenir des amines pour capturer le CO2 présent dans les fumées de combustion et gaz d’échappement. Ces molécules et le CO2 piégé forment ensemble des composés qui permettent de capturer et d’isoler les métaux rares. Les systèmes moléculaires issus du captage du CO2 s’adaptent à la variabilité des gisements métalliques. Pour les batteries, cette adaptabilité est un énorme avantage qui permettra d’accompagner l’évolution des typologies de batteries, comme l’arrivée sur le marché des sodium-ion.

Cette rupture ne tombe pas dans les pièges du recyclage traditionnel puisqu’elle ne génère pas de déchets en créant de la ressource. De plus, on sort du monde d’avant dans lequel tout procédé faisait appel aux ressources primaires.

Comment envisagez-vous la suite pour la start-up MECAWARE portée par Arnaud Villers d’Arbouet et issue de votre invention ?

Cette année, beaucoup de lauréats du palmarès sont issus du monde digital, alors que mes travaux relèvent de la Deeptech, en particulier la conception de procédés pour retraiter et produire de la matière tangible. Cette distinction valorise d’autant plus MECAWARE, incubée par PULSALYS, qui avait levé 50 millions d’euros en 2023. Les prochains enjeux associés à la montée en TRL et à l’échelle sont pour nous de sécuriser les fournitures de rebuts et de construire les filières pour réintroduire notre matière recyclée dans le cycle de production de batteries. Dans ce domaine, il va y avoir une course aux déchets ; la réglementation européenne impose pour la fabrication des batteries, des quotas de matière recyclée qui vont augmenter fortement au fil des prochaines décennies.

Pour ce qui est de la montée en échelle, nous avons multiplié par 10 celle de nos démonstrateurs qui à présent doivent fonctionner en flux continu. Ils représentent les modèles réduits de la première usine de retraitement des rebuts produits par les futures gigafactories, comme celle de Verkor à Dunkerque. En accord avec la programme France 2030 qui soutient notre développement, notre première usine devra tourner à l’horizon 2026.

Un autre point important est le partenariat à la revente de la matière que l’on va produire. A l’heure actuelle, ce sont les Chinois qui fabriquent les matériaux actifs pour les batteries car il n’y a pas de modèle européen soutenable à leur fabrication. Des écosystèmes de partenaires doivent donc se créer en Europe.

En tant que chimiste, quelles sont les prochaines pistes de recherche fondamentale que vous explorez ?

Le CO2 est une molécule capable de rendre bien des services. Mais d’un point de vue énergétique, elle ne pourra probablement pas concurrencer économiquement le pétrole pour la production à court terme de produits carbonés d’intérêt. Il faut lui trouver d’autres usages. Par exemple, il y a des gigatonnes de CO2 sur tous les chantiers de France et d’Europe qui peuvent être utilisées pour concevoir des calcaires artificiels à partir de gravats. Cette valorisation, mature et peu énergivore, peut s’opérer à une échelle significative en terme de tonnage, pour lutter contre le réchauffement climatique. A partir de molécules issues des déchets agricoles naturels sur lesquelles il est possible de fixer du CO2, on peut aussi élaborer des polymères totalement biocompatibles pour la chirurgie reconstructrice.

 

 

 

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Julien Leclaire
Institut de chimie et biochimie moléculaires et supramoléculaires