Bufferines : zoom sur une des armures bactériennes contre le stress métallique
Un mécanisme inédit de défense bactérienne face au cuivre vient d’être dévoilé. Les bufferines, des peptides naturels modifiés, se lient aux ions métalliques pour protéger les bactéries contre leur toxicité. Cette découverte, parue dans PNAS, met en lumière un système de régulation méconnu mais omniprésent dans le monde bactérien et dont le potentiel tant biologique que biotechnologique reste à explorer.
Dans l’environnement, les bactéries doivent composer avec de nombreux ions métalliques, essentiels à faible dose mais toxiques en excès. Ces éléments tels que le cuivre, naturellement présents ou issus de la pollution, peuvent déréguler certaines fonctions cellulaires. Pour survivre, les micro-organismes ont donc développé des stratégies de défense variées, visant à la fois à piéger le cuivre en excès et à le transformer en espèce non toxique, par des enzymes par exemple. Parmi ces stratégies, les peptides RiPPs (ribosomally synthesized and post-translationally modified peptides) se distinguent par leur capacité à se lier aux ions métalliques. Ces peptides, produits à partir de gènes spécifiques par le ribosome, subissent ensuite des modifications chimiques par des enzymes qui leur confèrent leurs propriétés, comme la capacité à piéger les ions métalliques. La nature de ces modifications, dite « post-traductionnelles », reste cependant obscure.
Dans ce contexte, une équipe interdisciplinaire de chimistes et microbiologistes a récemment mis en lumière une importante famille de RiPPs jusque-là peu connue: les bufferines. En utilisant la bactérie Caulobacter vibrioides comme modèle, ils ont pu mettre en évidence que les bufferines subissent une modification rare des acides aminés Cystéine, transformés en hétérocycle thiooxazole par un enzyme spécialisé. Les bufferines ainsi modifiées se lient spécifiquement aux ions de cuivre. L’équipe a également montré que ces peptides agissent principalement dans l’espace périplasmique, la région située entre leurs deux membranes cellulaires des bactéries à double membrane, où ils piègent le cuivre en excès.
L’équipe a confirmé ce rôle en montrant qu’en présence d’excès de cuivre, les bactéries qui expriment les bufferines croissent mieux que leurs homologues dépourvues de ces peptides. L’équipe a ensuite mené des analyses bioinformatiques qui indiquent que des milliers de gènes de biosynthèse de bufferines putatives sont répartis dans tout l’arbre phylogénétique bactérien. Ce mécanisme de régulation pourrait donc être très largement répandu voire concerner d’autres métaux lourds que le cuivre.
Cette découverte, publiée dans PNAS, ouvre des perspectives fascinantes qui vont bien au-delà de l’adaptation des bactéries aux environnements pollués par des métaux. La possibilité d’exploiter ces peptides pour la bioremédiation des métaux lourds dans l’environnement est une piste prometteuse. Mieux comprendre les mécanismes de résistance aux bactéries par des cellules hôtes qui utilisent le cuivre pour se défendre en est une autre.
Avec les bufferines, c’est donc une nouvelle facette de l’étonnante ingéniosité évolutive des bactéries qui émerge, révélant un fort potentiel à la fois biologique et biotechnologique pour répondre à certains défis dans les domaines de la santé et de l’environnement.
Rédacteur : AVR
Référence
Laura Leprevost, Sophie Jünger, Guy Lippens, Céline Guillaume, Giuseppe Sicoli, Lydie Oliveira, Enrico Falcone, Emiliano de Santis, Alex Rivera-Millot, Gabriel Billon, Francesco Stellato, Céline Henry, Rudy Antoine, Séverine Zirah, Svetlana Dubiley, Yanyan Li, Françoise Jacob-Dubuisson
A widespread family of ribosomal peptide metallophores involved in bacterial adaptation to metal stress
PNAS 2024
https://doi.org/10.1073/pnas.2408304121