BioCIS, acteur majeur de la recherche en chimie médicinale, fête ses 30 ans
Le 17 juin, le laboratoire BioCIS fête ses 30 ans. A cette occasion, Mouad Alami, directeur de recherche au CNRS et directeur du laboratoire, et Bruno Figadère, directeur de recherche au CNRS, nous racontent la saga d’une recherche interdisciplinaire d’excellence en synthèse organique et chimie médicinale. Des anti-infectieux et anticancéreux à la dégradation des molécules thérapeutiques, récit d’une épopée en chimie de la santé.
De leur synthèse ou leur isolement à leurs propriétés pharmacologiques, comment s’est construite l’expertise de BioCIS sur les molécules naturelles ?
Mouad Alami1 : A la genèse de BioCIS (Biomolécules : conception, isolement, synthèse – CNRS/Université Paris-Saclay), un chercheur visionnaire : André Cavé2. Convaincu que la chimie des substances naturelles devait inclure l’étude de leurs propriétés pharmacologiques, il a su fédérer une communauté interdisciplinaire de chercheurs et enseignants-chercheurs pour créer BioCIS. Ce chemin, parfois ardu, a conduit au large spectre d’expertises actuelles qui englobent les substances naturelles comme source d’inspiration de molécules biologiquement actives, la catalyse organométallique et le développement de méthodologies de synthèse, la modélisation moléculaire, la conception rationnelle de nouvelles molécules à visée thérapeutique et la compréhension de leur mode d’action.
Bruno Figadère, pouvez-vous nous raconter ce chemin que vous avez rejoint très tôt ?
Bruno Figadère3 : La construction d’un laboratoire comme BioCIS est avant tout une aventure humaine. Elle a commencé avec l’arrivée d’une équipe spécialisée en chimie du fluor appliquée à la pharmacologie qui a apporté son expertise sans changer l’essence du noyau d’origine qui étudiait les substances naturelles. La catalyse organométallique pour la synthèse de principes actifs est ensuite arrivée et devenue centrale. Cette aventure s’est poursuivie à travers les directions successives dans un écosystème de recherche académique très porteur, notamment à proximité de la faculté de pharmacie, pour aboutir à une plateforme incontournable de recherche sur les substances naturelles.
Pour adresser un aussi large spectre de la chimie médicinale, quelles compétences fallait-il encore développer ou renforcer ?
Mouad Alami : Il ne faut jamais oublier le rôle essentiel de la chimie analytique, parent pauvre de la faculté de pharmacie que nous avons développé au sein du laboratoire pour répondre à nos objectifs. Il en va de même pour la modélisation moléculaire grâce aux outils de la chimie théorique. Jean-Daniel Brion,4 ancien directeur d’unité, souhaitait accélérer la conception de nouvelles molécules d’intérêt en s’appuyant sur une approche in silico. Convaincu que les futurs pharmaciens devaient être formés à la modélisation moléculaire durant leur cursus, il a fait intégrer cet enseignement au parcours universitaire grâce au recrutement au sein de BioCIS d’un professeur et d’un, et bientôt deux, maîtres de conférence experts en modélisation. Cette stratégie « gagnant-gagnant » a largement contribué à l’innovation et à l’excellence de notre recherche tout en maintenant la compétitivité et l’attractivité de la faculté de pharmacie à Saclay.
Trois mots pour définir cet ADN « BioCISien » ?
Mouad Alami : Interdisciplinarité, innovation et valorisation.
Le CNRS a très tôt soutenu cette interdisciplinarité en stimulant les interactions entre biologistes et chimistes, d’abord sur le site de Châtenay, puis à Saclay. La proximité de l’Institut de chimie des substances naturelles (ICSN, CNRS/Université Paris-Saclay) et des UFR de pharmacie et de médecine a également permis de fédérer une communauté de biologistes, cliniciens, pharmaciens et chimistes travaillant ensemble.
Bruno Figadère : Ce sont d’ailleurs ces collaborations qui ont permis à BioCIS de proposer des molécules thérapeutiques à l’industrie pharmaceutique. D’abord des agents anti-infectieux/antiparasitaires, première vitrine de BioCIS, mis au point grâce à une association de biologistes parasitologues et de chimistes des substances naturelles. Les aspects santé de BioCIS se sont progressivement ouverts aux maladies rares et au cancer. Plusieurs molécules anti-cancéreuses ont été étudiées, synthétisées et évaluées jusqu’au modèle animal.
Fort d’une vingtaine de brevets et de la création de quatre start-ups, BioCIS continue de mener une recherche financée en partie par l’industrie. Pierre Potier (ICSN) a largement contribué à promouvoir ce type de contrat en développant avec Rhône-Poulenc la Navelbine® et le Taxotère®, deux anticancéreux largement utilisés. J’insiste sur cette très belle histoire qui nous rappelle la nécessité de protéger les recherches innovantes issues des laboratoires.
Quel avenir pour BioCIS dans les cinq prochaines années ?
Mouad Alami : Une première perspective à court terme est l’arrivée d’une équipe de l’Université Versailles St Quentin qui viendra compléter l’axe de recherche sur la chimie du fluor. Avec l’équipe de Cergy rattachée à BioCIS depuis 2020, l’unité réunira l’ensemble de cette communauté en Ile de France, avec un nouvel axe sur les petites molécules fluorées et l’espoir de mettre au point des traitements pour certaines maladies neurodégénératives incurables.
L’utilisation de l’IA pour accélérer le développement de molécules thérapeutiques est un autre axe que nous allons développer, et qui nous aidera aussi à mieux gérer les très nombreuses données que nous générons, en spectroscopie notamment. Il s’agit d’un tournant important pour nos recherches.
Bruno Figadère : Fort de son expertise transverse en chimie thérapeutique, BioCIS compte à l’avenir adresser un enjeu sociétal important : la pollution. Avec l’accroissement de la population et l’accès fort heureusement de plus en plus généralisé aux soins et aux médicaments, il devient urgent de se soucier de la dégradation des molécules thérapeutiques qui se retrouvent, souvent encore actives, dans les eaux usées. Nous réfléchissons à la conception de molécules thérapeutiques auto-immolables qui se dégraderaient après usage. Un défi que les BioCISiens sont prêts à relever, conscients bien évidemment que cela augmenterait le coup du médicament. Mais la recherche académique se doit d’explorer tous les possibles pour faire émerger les solutions de demain.
1Mouad Alami est directeur de recherche au CNRS et dirige BioCIS depuis 2020.
2André Cavé était professeur de Pharmacognosie à la faculté de Pharmacie de l’Université Paris Sud et a dirigé BioCIS de sa création en 1994 jusqu’en 1998.
3Bruno Figadère, directeur de recherche au CNRS, a dirigé BioCIS de 2008 à 2019.
4Jean-Daniel Brion, Professeur de Chimie thérapeutique à l'Université Paris-Saclay, a dirigé BioCIS de 1998 à 2007.
Rédacteur : AVR