Astate et cancer : trois questions à François Guérard et Nicolas Galland
Élément chimique extrêmement rare et se désintégrant en quelques heures, l’astate pourrait détruire par radioactivité de nombreuses tumeurs sans endommager les tissus sains. Des chimistes du Centre de recherche en cancérologie et immunologie Nantes-Angers (CRCINA, CNRS/INSERM/Université d’Angers/Université de Nantes), du laboratoire Chimie et interdisciplinarité : synthèse, analyse, modélisation (CEISAM, CNRS/Université de Nantes) et du Laboratoire de physique subatomique et des technologies associées (SUBATECH, CNRS/IMT-Atlantique Bretagne-Pays de la Loire/Université de Nantes) ont synthétisé quinze ans de travaux dans la revue Accounts of Chemical Research. Deux de ces chercheurs répondent à nos questions.
Qu’est-ce que l’astate et pourquoi intéresse-t-il la recherche contre le cancer ?
François Guérard – L’astate (At) est l’élément le plus rare de notre planète, avec seulement quelques grammes dispersés sur toute la croûte terrestre. Il est issu de la désintégration d’éléments radioactifs et se désintègre lui-même en quelques heures. Ainsi, d’infimes quantités apparaissent et disparaissent en permanence à travers le globe.
Nicolas Galland – Dès les premières années après la découverte de l’astate en 1940, les chercheurs ont imaginé des applications en radiothérapie. L’astate-211 émet en effet des particules alpha très destructrices, mais sur une courte distance. Cela permet d’éradiquer des cellules tumorales sans attaquer les tissus sains alentour.
Comment obtient-on un matériau aussi rare et instable ?
François Guérard – De la même manière qu’il a été découvert, l’astate est produit par réaction nucléaire dans des accélérateurs de particules. À Nantes, nous possédons depuis 2010 le seul appareil de France et le second d’Europe à être capable d’en fabriquer. Il s’agit du cyclotron Arronax, dont l’installation a été possible grâce à des financements régionaux, nationaux et européens.
Forts de notre position de leader, nous avons lancé un projet de réseau clinique européen (action Cooperation in science and technology) pour soutenir la communauté grandissante de chercheurs sur l’astate. Nous espérons disposer en Europe de cinq à six centres de production d’ici cinq ans, contre seulement deux actuellement.
Quel bilan tirez-vous de vos quinze années de travaux sur l’astate ?
Nicolas Galland – Comme l’astate appartient à la famille des halogènes, les études précédentes ont surtout suivi ce qui se faisait avec l’iode dont les isotopes radioactifs sont utilisés depuis des décennies pour traiter les cancers de la thyroïde. Certaines méthodes de vectorisation de l’iode consistent à fixer l’isotope radioactif par formation d’une liaison chimique, dite covalente, avec un atome de carbone d’une molécule qui le guide jusqu’aux cellules tumorales visées. Cette approche ne fonctionne pas bien avec l’astate, qui est souvent libéré trop tôt et endommage alors des tissus sains.
À Nantes, nos trois équipes ont l’originalité de ne pas considérer uniquement l’astate comme un analogue de l’iode. Nous avons commencé par caractériser les espèces chimiques sous lesquelles l’astate se présente et ainsi mis en évidence la forme anionique At-, commune aux halogènes, mais aussi les cations At+ et At3+ que l’on ne retrouve pas ailleurs dans cette famille.
Référence
Advances in the Chemistry of Astatine and Implications for the Development of Radiopharmaceuticals
Guérard, F.; Maingueneau, C.; Liu, L.; Eychenne, R.; Gestin, J.-F.; Montavon, G. & Galland, N. Acc. Chem. Res. 54, 3264–3275 (2021)