Déformer un solide peut modifier sa mouillabilité… ou pas !

Résultats scientifiques Matériaux

Automne 2015, Leiden, Pays-Bas. Une conférence internationale voit naître une vive controverse. Les résultats d’une expérience pionnière sur les élastomères, cette matière molle à la frontière entre liquides et solides, surprennent. Soumis à déformation, ces matériaux verraient leurs propriétés de surface varier. Trois ans plus tard, une étude franco-canadienne pourrait bien mettre fin à la polémique en montrant que les élastomères ne voient pas leur tension de surface se modifier quand ils sont soumis à une déformation, contrairement aux solides cristallins et aux verres, et contrairement à ce que prévoyait la première étude. Ce travail, fruit d’une collaboration internationale entre chercheurs du département de Physique et d’Astronomie de l’Université de McMaster (Canada), du laboratoire Gulliver (CNRS/ESPCI Paris), et du laboratoire Ondes et Matière d’Aquitaine (CNRS/Université de Bordeaux) est paru dans Nature Communications.

La bulle de savon, la goutte de rosée… Ces formes particulières, arrondies, sont les parfaites illustrations des phénomènes qui se produisent à l’interface entre un liquide et l'air. À la frontière entre les deux milieux, les molécules se retrouvent un peu isolées de leurs semblables, ce qui engendre alors une « tension de surface » qui tend à réduire les surfaces, et donc à créer des formes sphériques.

Ces phénomènes d’interface sont également observés entre un solide et un liquide. Une goutte d'eau déposée à la surface d’un solide, par exemple, s'étale plus ou moins selon la « mouillabilité » du matériau. Les ingénieurs cherchent par exemple à développer des parebrises et des ailes d’avion sur lesquels l’eau aura tendance à ne pas s’étaler pour mieux être évacuée, alors qu’une peinture optimale aura tendance au contraire à bien s’étaler sur un mur. Cette mouillabilité peut être quantifiée par la mesure de « l’angle de raccordement » ou angle de contact (voir figure). Plus l’angle est petit, plus on dit que le liquide "mouille bien" le solide.

Dès les années 50, des études mettent en évidence qu’un solide cristallin soumis à des tests d’étirement voit ses atomes s’écarter et… sa tension de surface (et donc sa mouillabilité) se modifier ! C’est l’effet Shuttleworth – spécifique aux solides. En 2012, des chercheurs ont créé une controverse en affirmant avoir observé ce même effet, mais pour une autre classe de matériaux, mous, dits « élastomériques », comme le caoutchouc.

La nouvelle série d’expériences menées par l’équipe franco-canadienne semble contredire ces résultats. Après avoir déposé des microgouttes sur des films solides amorphes et mesuré leur angle de contact en fonction du taux d’étirement des films, pour de nombreux couples de matériaux, les chercheurs ont démontré que, effectivement, un solide amorphe compressible comme le verre présente bien un effet Shuttleworth. Mais cet effet n’a en revanche été observé chez aucun des élastomères testés qui, incompressibles, présentent des propriétés microscopiques très proches de celles d’un liquide.

Au-delà de l’avancée des connaissances fondamentales, cette étude ouvre la voie à de nombreuses applications, en laissant imaginer que les propriétés de mouillage d’un matériau plastique pourraient être contrôlées par simple étirement ! Des textiles intelligents ou des filets à brouillard pourraient être développés, pour capter ou libérer l’eau suivant leur déformation. Cette propriété des solides amorphes pourrait également être à l’origine de nouveaux traitements de surface…

 

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Références

Rafael D. Schulman, Miguel Trejo, Thomas Salez, Elie Raphaël & Kari Dalnoki-Veress
Surface energy of strained amorphous solids
Nature communications - 2018
DOI:10.1038/s41467-018-03346-1

Contact

Sophie Félix
Chargée de communication
Stéphanie Younès
Responsable Communication - Institut de chimie du CNRS
Christophe Cartier dit Moulin
Chercheur à l'Institut parisien de chimie moléculaire & Chargé de mission pour la communication scientifique de l'INC