Clément Sanchez, créateur d’une école de pensée en science des matériaux

Entretiens Matériaux Chimie verte

Entre synthèse, structure et propriétés d’un matériau, entre les disciplines scientifiques, entre la nature et l’industrie, entre ses collègues, etc. : Clément Sanchez, Professeur au Collège de France et chercheur au sein du laboratoire « Chimie de la Matière Condensée de Paris » (CNRS/UPMC/Collège de France), aime créer des liens et n’est pas avare en nouvelles idées. La communauté scientifique le lui rend bien : le chercheur a reçu ses dernières années de nombreux prix et nominations.

« Un chercheur, c’est un artiste : Il doit pouvoir créer, explorer, avoir des idées originales, prendre des risques ! » Professeur au Collège de France, Clément Sanchez suit ce précepte de près. Il multiplie d’ailleurs les prix pour ses idées originales depuis le début de sa carrière, dont il a mené l’essentiel au CNRS.

Son parcours est « atypique ». Il travaille en tant que technicien tout en poursuivant ses études en DUT de chimie, dont il sort major. On lui propose alors de suivre les cours de l’ENSC Paris (Chimie ParisTech aujourd’hui) d’où il sort également major de promotion en 1978. Repéré par Jacques Livage (aujourd’hui professeur émérite au Collège de France), il poursuivra en thèse. Formé à la synthèse organique, à la chimie moléculaire, et à l’ingénierie des procédés via son travail dans l’industrie, puis à la chimie du solide et des minéraux et aux spectroscopies par son travail en thèse et son stage post-doctoral à l’Université de Berkeley, c’est tout naturellement qu’il décide ensuite de marier tout cela en développant un nouvel axe très prometteur de la chimie des matériaux, celui des matériaux hybrides.

Une science multifacette

La chimie des matériaux hybrides permet la construction raisonnée de matériaux nanostructurés bio-inspirés par des méthodes ascendantes : ces matériaux sont assemblés petit à petit à partir de molécules ou d’oligomères minéraux et organiques ou biologiques. Le but : contrôler la composition, la structure, la texture de la matière à toutes les échelles comme sait le faire la Nature, afin d’élaborer ”sur mesure” des nouveaux matériaux en ciblant des propriétés d’usage pour les domaines de l’environnement, la santé et l’énergie. Une chimie douce  hybride, originale, couplée à des procédés d’élaboration (aérosols, dépôts de films, impression 3D, extrusion, impression jet-d’encre, etc.) qui mettent en jeu des connaissances et expertises multiples.

À l’époque, dans les années 80, c’est un champ disciplinaire à peine naissant, absent de la conscience collective des chercheurs. Avec le champ énorme de possibilités ouvert par les matériaux hybrides, c’est un terrain de jeu interdisciplinaire et international qui se met en place avec de « multiples jardins à cultiver ». C’est cette « science multi-facette » qui attire le chercheur : mélanger des communautés de la chimie, de la physique et de la biologie implique de développer un mode de pensée transversal pour associer les concepts, les outils, les méthodes d’étude propres à chaque champ disciplinaire. Il faut faire l’effort d’apprendre les langages de chacun, comprendre leur façon de penser afin de créer des idées nouvelles aux interfaces des différentes disciplines.

Un futur « bio »

Explorer largement, ne pas rester sur ses acquis, s’ouvrir à d’autres publics, c’est aussi ce que Clément Sanchez apprécie dans les cours constamment renouvelés qu’il donne aujourd’hui au Collège de France, où il a été nommé en janvier 2011. Chaque année, il faut inventer une nouvelle façon de « diffuser les avancées scientifiques récentes » auprès d’un public très varié. Une activité que le chercheur poursuit à l’échelle de son équipe de recherche « dynamique et brillante ». Même s’il a aujourd’hui moins de temps à accorder aux expériences, il veut rester disponible pour discuter avec les jeunes chercheurs et les étudiants, les soutenir et les encourager, lancer des idées et promouvoir de nouveaux thèmes. Créer des liens riches pour assurer l’avenir des autres.

Lorsqu’on lui demande ce qu’il voit pour le futur de son domaine justement, Clément Sanchez est très enthousiaste : le futur sera « bio » et « nano ». Biosourcé d’abord, pour des matériaux respectueux de l’environnement comme son équipe y travaille déjà depuis les années 90. Bio-inspiré ensuite, sans se contenter de copier la Nature mais plutôt  en décodant les mécanismes de construction des matériaux et systèmes naturels pour s’en inspirer et aller plus loin. Des matériaux et systèmes hybrides sur-mesure et recyclables, qui sauront s’auto-diagnostiquer, s’auto-réparer ou s’auto-détruire. Ils auront leur place dans les catalyseurs, les capteurs, les vecteurs de principes actifs multifonctionnels, l’ingénierie tissulaires, la cosmétique, les revêtements fonctionnels (protection, anticorrosion, couleur etc.), la construction, l’automobile, l’énergie (cellules solaires, batteries, piles à combustibles), mais aussi le développement durable et l’agriculture où ils sont aujourd’hui encore peu présents. Le développement de nanomatériaux exotiques minéraux ou hybrides, et liant plusieurs métaux et métalloïdes, devrait également prendre de l’ampleur, en particulier dans les domaines de l’énergie et l’environnement. Pour cela, il faudra savoir mieux contrôler les gradients de composition et les interfaces composites des matériaux, mieux comprendre leur comportement d’usage grâce aux nombreuses méthodologies modernes qui permettent de suivre operando le « matériau au travail ». Il reste « des efforts à faire » mais ces nouvelles approches permettront d’effectuer des ruptures scientifiques dans les 20 prochaines années.

Curiosité et plaisir

Les matériaux hybrides intéressent évidemment aussi les industriels. Le chercheur est d’ailleurs sensible au côté « utile » de ses inventions. Clément Sanchez est non seulement très intéressé par la science mais aussi par l’innovation et l’application, comme en témoignent les soixante-dix brevets qu’il a déjà déposé avec ses collaborateurs. Savoir traduire un problème industriel en une question de recherche fondamentale peut aussi être une source d’inspiration pour la recherche. Mais il s’autorise également à créer de nouveaux matériaux par simple curiosité, pour le plaisir sans application immédiate ou valorisation industrielle claire aujourd’hui. Car la recherche fondamentale est indispensable. C’est une façon de comprendre le présent, de préparer le futur… et de rester un chercheur, ou un artiste, qui prend des risques.

CV

  • 2017 / 2018 : Devient Chevalier de l’ordre national de la légion d’honneur, reçoit le Grand prix de la Société française de Métallurgie et de Matériaux (SF2M), est nommé à la « World Academy of Ceramics » et élu à l’Académie française des technologies, obtient la chaire « International Francqui Professor » en Belgique.
  • 2014 : Est lauréat du Grand prix Eni « Protection of the Environment ».
  • 2011 : Est élu professeur au Collège de France avec la Chaire de « Chimie des Matériaux Hybrides » et membre de l’Académie des Sciences.
  • 2010 : Est élu à l’Académie des sciences européenne et à l’Academia Europaea et remporte le grand prix IFPEN de l’Académie des Sciences.
  • 2009 : Est lauréat du grand prix P. Süe de la Société Chimique de France
  • 2008 : Remporte le prix Gay-Lussac-Humboldt
  • 2005 / 2013 : Dirige le laboratoire « Chimie de la Matière Condensée de Paris » (CNRS UPMC/Collège de France)
  • 1995 : Obtient la médaille d’argent du CNRS
  • 1978 : Entre au CNRS en tant qu’attaché de recherche.

Contact

Clément Sanchez
Professeur au Collège de France et chercheur au Laboratoire de chimie de la matière condensée de Paris (CNRS/Sorbonne Université/Collège de France)
Sophie Félix
Chargée de communication
Stéphanie Younès
Responsable Communication - Institut de chimie du CNRS
Christophe Cartier dit Moulin
Chercheur à l'Institut parisien de chimie moléculaire & Chargé de mission pour la communication scientifique de l'INC